Introduction
Le retail media est le nouveau mot à la mode dans le monde du marketing. En à peine deux ans, il est passé d’un sujet de niche à un point fixe dans les conseils d’administration et les plans média. Les annonceurs et les agences parlent de son énorme potentiel : accès à des données first‑party précieuses, lien direct avec les ventes et nouvelle source de revenus pour les retailers.
Mais derrière cette promesse se cache une réalité plus complexe. Le marché belge est encore jeune, mais freiné par la fragmentation, une échelle limitée et un manque de standardisation. Il est temps de regarder au-delà du battage : où en sommes-nous vraiment en Belgique, et que manque-t-il pour atteindre la maturité ?
1. Ce qu’est réellement le retail media aujourd’hui (et ce qu’il n’est pas)
Le retail media désigne les espaces publicitaires que les retailers proposent dans leurs propres écosystèmes, qu’ils utilisent ou non leurs données clients. Il s’agit essentiellement de publicités diffusées plus près du moment d’achat, nourries par des insights uniques sur le comportement d’achat.
Le paysage se divise globalement en trois catégories :
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On-site media : publicités dans l’environnement du retailer, comme les produits sponsorisés sur bol.com ou les bannières sur Carrefour.be.
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Off-site media : publicités en dehors de l’environnement du retailer (par exemple sur Meta ou YouTube), mais ciblées grâce aux données du retailer.
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In-store media : écrans, affichages ou radio en magasin, souvent liés à des campagnes digitales.
Pourtant, de nombreuses marques voient encore le retail media comme quelque chose d’additionnel. Un canal que l’on teste parce qu’il est nouveau, pas parce qu’il s’inscrit dans une stratégie . L’essence du retail media, cependant, n’est pas la bannière ou la fiche produit, mais la donnée derrière : comprendre qui achète, quand et quoi.
2. Le paysage belge : beaucoup d’initiatives, peu d’écosystème
Le marché belge est en pleine évolution. En 2024‑2025, presque tous les grands retailers ont lancé une forme de retail media.
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Colruyt Group propose, avec Colruyt Group Insights, « la plus grande base de données retail de Belgique ». 3 millions de ménages, 150 millions de transactions par an que Colruyt transforme en insights précieux.
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Carrefour Links & Publicis ont lancé Unlimitail en Belgique dès 2023. Une entité indépendante qui a même remporté un IAB Gold cette année dans la catégorie « Retail & Commerce Media ».
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Bol.com Retail Media est actif depuis plus longtemps, mais a renforcé sa branche belge via de nouvelles options de reporting et de ciblage.
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Des acteurs comme Medi‑Market et Delhaize (MMD) prennent également des initiatives vers leurs propres plateformes publicitaires.
Résultat ? Un marché avec beaucoup d’initiatives, mais peu de cohérence. Chaque plateforme utilise ses propres outils, définitions et logiques de reporting. Pour les annonceurs ou agences, il devient presque impossible de comparer les performances entre retailers.
Un deuxième défi s’ajoute : l’échelle. La Belgique est un marché relativement petit, ce qui signifie que même les plus grands retailers disposent de volumes et de points de données limités. Cela rend difficile de scaler ou d’automatiser les campagnes de manière rentable comme avec Google ou Meta.
En bref : nous avons les briques, mais pas encore l’écosystème.
3. Ce qui fonctionne déjà bien
Malgré ces limites, des réussites claires émergent. Le retail media excelle particulièrement dans trois domaines :
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Pertinence contextuelle. Le retail media touche les consommateurs au moment où ils sont déjà dans une logique d’achat. C’est fondamentalement différent des canaux d’awareness classiques.
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La first‑party data comme atout. Dans un monde sans cookies tiers, les données des retailers offrent une alternative précieuse. Ils disposent de données transactionnelles fiables que d’autres plateformes n’ont pas. Cela permet de créer des audiences basées sur de vraies intentions d’achat plutôt que sur des intérêts supposés.
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Closed-loop reporting. En principe, les annonceurs peuvent mesurer toute la chaîne : de l’impression publicitaire jusqu’à l’achat effectif. En pratique, cette transparence varie encore selon les retailers, mais le potentiel est énorme.
4. Là où cela coince encore
a. Mesure et standardisation
Chaque retailer utilise son propre modèle de reporting et ses propres KPI. Là où l’un parle de « ROAS », un autre parle de « sales uplift » ou de « reach incrémental ». Résultat : comparer les performances ou optimiser de manière stratégique devient difficile.
L’IAB Europe travaille sur un premier standard européen, mais en Belgique, l’adoption reste limitée.
b. Complexité opérationnelle
Contrairement à Google Ads ou Meta, il existe peu d’outils self‑service. Les campagnes sont souvent mises en place manuellement via des account managers. Cela rend le retail media lent, chronophage et difficile à déployer à grande échelle.
c. Possibilités créatives limitées
De nombreux formats retail media sont encore fortement orientés performance : listings produits, carrousels, bannières. Les formats upper‑funnel capables de porter un récit de marque (vidéo, storytelling, dynamic creative testing) restent rares.
d. Le paradoxe de l’échelle belge
La Belgique a une riche tradition retail, mais pas de géants comme Amazon ou Tesco. Cela rend la collaboration cruciale, mais aussi complexe. Sans données ou plateformes partagées, les annonceurs restent dépendants d’accords isolés, ce qui limite l’efficacité.
e. Et le non‑endémique ?
La base du retail media en Belgique est solide pour les produits endémiques. Les entreprises qui vendent sur bol.com ou les acteurs FMCG vendant chez Delhaize peuvent utiliser les nombreuses options existantes. La prochaine étape sera d’utiliser les données retail dans d’autres canaux. Imaginez pouvoir savoir, via le comportement d’achat d’un individu, s’il est plus âgé, sportif ou soucieux de sa santé — et cibler ces profils sur les réseaux sociaux. La pertinence accrue augmenterait fortement l’acceptation publicitaire.
5. Du battage à la stratégie
Le retail media ne créera une réelle valeur que s’il est intégré dans le mix média plus large. Il ne doit pas être un test isolé, mais une composante structurelle de la stratégie marketing.
Cela signifie que les marketeurs doivent réfléchir à trois éléments clés :
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Intégration avec le reste du funnel. Le retail media n’est pas une île. Combinez des campagnes d’awareness sur les réseaux sociaux avec des campagnes de conversion sur les plateformes retail pour créer des synergies. Exemple : une campagne de marque sur YouTube combinée au retargeting via Unlimitail ou MMD.
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Intégration data & measurement. Construisez votre propre cadre pour intégrer le retail media dans l’attribution multi‑touch ou le media mix modelling. N’attendez pas que les retailers standardisent : prenez l’initiative en tant qu’annonceur.
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Partenariats et éducation. Dans les années à venir, agences et retailers devront collaborer davantage. Les agences apportent l’expertise en automatisation, analyse de données et planification stratégique ; les retailers apportent des données d’achat uniques et un contexte riche.
En bref : passer d’un modèle transactionnel à un modèle partenarial.
Conclusion
Le retail media est plus qu’un simple mot à la mode. Il représente une évolution structurelle dans la manière dont les marques atteignent les consommateurs : plus proche du moment d’achat, avec de meilleures données et une plus grande accountability.
Mais le paysage belge reste fragmenté, de petite échelle et opérationnellement complexe. Le développement d’espaces publicitaires offline ou pour les clients endémiques prend forme, mais l’usage des données dans le cadre plus large (c’est‑à‑dire : pouvoir utiliser les données retail dans le reste du mix média) manque encore.
La prochaine phase déterminera si le retail media en Belgique évoluera d’une expérimentation prometteuse à un canal durable. Je conclus par une pensée : nous savons que cela ne se fera pas tout seul. Tout début est difficile. Cela demandera des efforts, des investissements, des collaborations et surtout du réalisme. Quelque chose se construit — mais nous n’y sommes pas encore.

